Ouvrages de l’auteur
Biographie
Après trois années à l’École nationale supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, Catherine Germain, née en 1963, rencontre François Cervantes l’année où il crée la compagnie L’Entreprise. Depuis, elle joue dans la plupart des créations de la compagnie. En 1987, elle crée le personnage Arletti, dans La Curiosité des anges. Ce clown a ensuite été au cœur de trois autres spectacles dont Catherine Germain est co-auteure : Le 6e jour, Le Concert, et Les Clowns. Depuis 1994, elle mène avec François Cervantes une recherche sur le théâtre des masques. Elle dirige de nombreux stages et ateliers en France et à l’étranger. Elle a également été formatrice au Centre national des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne. En 2005, elle joue dans la pièce Plus loin que loin de Zinnie Harris, mise en scène par Pierre Foviau, artiste associé à la Scène nationale de Dunkerque. Catherine Germain a rencontré l’écriture à l’occasion du travail sur le masque. Textes disponibles : Instants de tournée, Histoires de clowns, Les Carnets d’une actrice, L’Atelier du lundi.
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Genèse
« Le clown est arrivé dans ma vie d’actrice quelque temps avant d’entrer dans ma vie tout court. C’était en 1986 en Corrèze. La compagnie L’Entreprise était dans sa première année d’existence et François nous avait demandé de créer un personnage dont nous tomberions amoureux. Comment être en même temps celui qui aime et celui qui est aimé ? C’était un jeu qui exigeait du silence et de la foi. J’ai dessiné ce personnage sur la peau de mon visage comme je l’aurais fait sur une toile vierge. J’avais en tête d’autres maquillages comme celui d’Albert Fratellini, le plus fragile des trois frères, que je trouvais d’une naïveté et d’une bêtise adorables. Oui, j’ai dû voler des images à d’autres pour inventer ce “visage d’amour”. Je l’ai fait d’une seule traite. Je ne l’ai pas cherché. Il est le même aujourd’hui qu’au premier jour, à part quelques traits noirs que j’ai estompés. À cette époque, nous ne parlions pas du “clown” mais de “l’ange”. Il s’agissait d’une créature qui rêvait de s’incarner. Dans ce désir de venir au monde, de chuter sur la terre comme dans la trajectoire des anges, je n’imaginais pas être une femme, mais plutôt un être encore indéfini pour ne pas dire infini… Le spectacle que nous répétions s’appelait Le Venin des Histoires. Il y avait deux espaces sur le plateau : celui des anges et celui des personnages. Entre les deux, on entendait la voix d’une diva, si belle qu’elle donnait aux anges l’envie de s’incarner dans des histoires terrestres. Un fait divers, dont François s’était inspiré pour le spectacle, racontait qu’à la vingt-quatrième mesure d’un certain chant, plusieurs divas avaient perdu la vie. Je n’ai pas pu être un ange dans ce spectacle parce qu’au vingt-quatrième jour des répétitions, j’ai eu un grave accident de voiture. Lorsque j’ai rejoint l’équipe, quelques semaines plus tard, j’étais devenue une voix-off. Pendant ma convalescence, j’avais enregistré des paroles sur mon isolement et mon envie de retourner sur scène. Le spectacle parlait de la préparation d’une diva avant un concert où serait chanté ce fameux passage mortel. D’une certaine manière, j’avais pris la place de la diva. La première du spectacle fut une catastrophe et en attendant de le reprendre, j’ai proposé à François avec un autre comédien de la compagnie, Dominique Chevallier, de poursuivre ce travail sur “l’ange” que nous avions commencé avant mon accident. J’y avais tellement pensé pendant mon séjour à l’hôpital que j’avais hâte de m’y mettre. C’est là que le clown est entré dans ma vie tout court, à cette époque où j’étais en pleine reconstruction et où je venais de connaître dans ma chair le sentiment de la vulnérabilité. À l’hôpital, dans la peur de disparaître, je faisais toutes les nuits des rêves de victoire. Je crois même que ces rêves, c’est lui, le clown, l’ange, qui me les faisait faire, lui qui était en train d’arriver en moi comme de la lumière. J’étais fragile. Je ne devais pas bouger. Il me fallait accueillir avec patience cet état nouveau de mon corps. Respirer et espérer. Rien de plus. Rien de moins. Un clown fait ça très bien. L’envie de ce travail était décuplée par le fait que je me sentais une personne nouvelle après cet accident. J’avais connu en même temps la peur de mourir et la joie d’être en vie. Je voyais les choses sous un autre angle. Jusqu’alors je m’étais sentie indestructible. Je recevais là un apprentissage qu’aucun moment de ma formation d’acteur ne m’avait fait entrevoir. En une nuit, j’ai changé. Au réveil, mon corps avait maigri. La peur est une combustion et j’ai brûlé de moi dans cette histoire. Il me tardait de retrouver le théâtre et “l’ange” récemment entrevu. Ce désir était tellement clair que je me suis concentrée pour aller de mieux en mieux. Je dessinais, de mémoire, sur des feuilles blanches, le maquillage que j’avais trouvé et j’y ajoutais une silhouette, des idées de costume, des cheveux. Je coloriais. Je passais des heures en silence à cicatriser. Inventer ce personnage, c’était me guérir. Le clown m’offrait l’occasion de me requestionner. C’était excitant comme de refaire sa vie. Repartir d’un début. Et quel début ! L’éducation, le comportement social, les conventions… tout était balayé. C’était jubilatoire. Un état sauvage uniquement guidé par le désir d’exister. La Curiosité des Anges. C’est comme ça que s’est appelé le spectacle que nous avons créé sur un petit rond de pelouse et qui a tourné dans beaucoup d’endroits du monde. »